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Contrôle COVID-19 : Drones, visites domiciliaires et flagrant délit – mise au point sur leur mise en œuvre :
visite police
Jeudi, 24 Décembre 2020

A l’heure actuelle, dans le cadre des diverses mesures prises pour endiguer la pandémie de COVID-19, s’il y a bien un sujet qui défraie la chronique et déchaine les passions, c’est bien celui des « bulles familiales » et des contrôles du respect des mesures sanitaires par les forces de police, et plus particulièrement lors de visite domiciliaire.

La présente contribution n’a pas pour but de commenter les évènements récents de l’actualité ni de départager les « pro » et les « contre » » mesures gouvernementales et contrôle policier, mais bien de faire le point sur les règles juridiques régissant les visites domiciliaires et la notion de flagrant délit/crime.

En outre, pour la bonne compréhension du lecteur, il y a lieu de distinguer la perquisition qui est ordonnée par un Juge d’Instruction qui a décerné un mandat de perquisition, de la visite domiciliaire qui est un acte d’information réalisé par le Procureur du Roi ou un officier de police judiciaire délégué par le Procureur du Roi.

L’hypothèse d’un mandat de perquisition dans le cadre d’un contrôle du respect des mesures COVID étant improbable, nous nous attacherons à examiner l’hypothèse plus probable d’une visite domiciliaire des forces de police autorisée par le Parquet.



A. VISITE DOMICILIAIRE et FLAGRANT DELIT :

D’abord, il y a lieu de rappeler le principe édicté à l’article 15 de la Constitution qui précise :

« Art. 15. Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit. »

Conformément au prescrit constitutionnel, le législateur a promulgué divers textes réglementant les perquisitions et visite domiciliaire :


1) La loi du 7 juin 1969 fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions, visites domiciliaires ou arrestations dont l’article 1 précise que :

« Aucune perquisition ni visite domiciliaire ne peut être faite dans un lieu non ouvert au public avant cinq heures du matin et après neuf heures du soir.

L'interdiction prévue à l'alinéa premier ne s'applique pas :

1° lorsqu'une disposition légale particulière autorise la perquisition ou la visite domiciliaire pendant la nuit;

2° lorsqu'un magistrat ou un officier de police judiciaire se transporte sur les lieux pour constater un crime ou délit flagrant;

3° en cas de réquisition ou de consentement de la personne qui a la jouissance effective du lieu ou de la personne visée à l'article 46, 2°, du Code d'instruction criminelle;

4° en cas d'appel venant de ce lieu;

5° en cas d'incendie ou d'inondation;

6° lorsque la visite domiciliaire ou la perquisition concerne une infraction visée :

- au livre II, titre Ier ter, du Code pénal, ou;


- au livre II, titre VI, chapitre Ier, du même Code, lorsqu'il existe des indices sérieux que des armes à feu, des explosifs, des armes nucléaires, des armes biologiques ou chimiques ou des substances nocives ou dangereuses pouvant mettre des vies humaines en danger en cas de fuite, peuvent être découverts. »



2) Les dispositions du Livre 1er du Code d’instruction criminel (loi du 17 novembre 1808) qui autorisent le procureur du Roi et les officiers de police judiciaire à procéder à des visites domiciliaires. Ils peuvent le faire lorsqu’ils se trouvent dans une des situations suivantes : flagrant crime ou délit, le consentement ou la demande de la personne qui a la jouissance des lieux, l’appel venant des lieux, les incendies, les inondations, les catastrophes, les menaces graves pour l’intégrité des personnes, certains lieux particuliers visés par diverses législations, exceptions prévues par des lois particulières.


3) L’article 27 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police qui précise :

« Sans préjudice des dispositions relatives à la planification d'urgence, les fonctionnaires de police peuvent, dans l'exercice de leurs missions de police administrative, en cas de danger grave et imminent de calamités, de catastrophes ou de sinistres, ou lorsque la vie ou l'intégrité physique de personnes sont gravement menacées, fouiller des bâtiments, leurs annexes ainsi que des moyens de transport, tant de jour que de nuit, dans chacun des cas suivants :

1° à la demande de la personne qui a la jouissance effective d'un lieu non accessible au public ou moyennant le consentement de cette personne;

2° lorsque le danger qui leur est signalé en ce lieu, représente un caractère extrêmement grave et imminent qui menace la vie ou l'intégrité physique de personnes et ne peut être écarté d'aucune autre manière.
Dans l'exercice des missions de police administrative, les fonctionnaires de police (...) peuvent également en cas de danger grave et imminent fouiller des zones non bâties.
Les fouilles visées au présent article ne peuvent être effectuées qu'en vue de rechercher les personnes en danger ou la cause du danger et, s'il échet, d'y porter remède.
L'évacuation de ces bâtiments ou zones ainsi que de leurs abords immédiats peut être ordonnée par un officier de police administrative dans les mêmes cas que ci-avant.
Dans ces différents cas, le bourgmestre compétent doit être informé dans les plus brefs délais, de même que, selon les circonstances et dans la mesure du possible, la personne ayant la jouissance effective du bâtiment, du moyen de transport ou de la zone fouillée ou du bâtiment ou de la zone évacuée. »

Au vu de ce qui précède, dans quel cadre la Police pourra-t-elle réaliser une visite domiciliaire en vue d’un contrôle du respect des mesures COVID édictée par l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 ?

Dans sa circulaire du 15 décembre 2020, le Collège des Procureurs Généraux estime que la fouille administrative d’un lieu privé sur base de l’article 27 de la loi sur la fonction de police n’est pas autorisée en vue de la recherche et de la constatation des infractions à l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020.

De plus, le Collège des Procureurs Généraux considère que :

« La recherche et la constatation des infractions à l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 dans un lieu privé (« un lieu non accessible au public ») ont une finalité judiciaire et sont réglées par le Code d’instruction criminelle et par la loi du 7 juin 1969 fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions, visites domiciliaires ou arrestations.

Sans préjudice des compétences du juge d’instruction, la perquisition et la visite domiciliaire dans un lieu privé peuvent se faire, tant de jour que de nuit :

- moyennant le consentement écrit et préalable de la personne qui a la jouissance effective du lieu ; ou


- lorsque l’infraction est constatée en flagrant délit. »


Ainsi, les policiers seraient susceptibles de rentrer dans votre domicile moyennant votre accord.

Cependant, il faut que cet accord soit fait par écrit et préalablement à la visite (article 3 de la loi du 7 juin 1969 fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions, visites domiciliaires ou arrestations).

En effet, dans un arrêt du 7 février 2018 (R.G. P.18.0100.F, disponible sur JUPORTAL), la 2ème Chambre de la Cour de Cassation rappelle qu’ « En application de l'article 3 de la loi du 7 juin 1969, le consentement visé à l'article 1er, alinéa 2, 3°, de cette loi doit être donné par écrit, préalablement à la perquisition ou à la visite domiciliaire (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP. Le juge du fond apprécie en fait si une perquisition faite sans mandat de justice a eu lieu avec le consentement de la personne qui a la jouissance effective des lieux (Cass. 13 février 1991, RG 8657, Pas. 1991, I, n° 315). Dans la présente espèce, contrairement au ministère public, la Cour a considéré que la cour d'appel ne pouvait, de ses constatations souveraines, légalement déduire sa décision que le demandeur avait implicitement mais certainement admis la présence des policiers dans son domicile avant que ces derniers n'y constatassent de visu des éléments justifiant une perquisition en flagrant délit. »

Les policiers ne peuvent donc pas procéder à une visite domiciliaire sur base de votre consentement si après avoir sonné à votre porte, vous les laissez entrer dans votre domicile puisque vous n’aurez pas marqué votre accord par écrit et de manière préalable à la visite.

Le fait de vous faire signer dans le cours de la visite un document confirmant le fait que vous avez marqué accord sur ladite visite ne permettra pas de « légaliser » la visite puis que ce document n’aura pas été réalisé préalablement à la visite. Dans cette hypothèse, il y a lieu de mentionner la date et l’heure de la signature pour que l’on puisse constater qu’elle intervient après le début de la visite et de vérifier l’heure mentionnée sur l’éventuel PV pour le début de la visite.


Concernant l’hypothèse du flagrant délit, il y a d’abord lieu de rappeler que l’article 41 du Code d’instruction criminel précise que :

« Le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre, est un flagrant délit.
Sera aussi réputé flagrant délit, le cas où l'inculpé est poursuivi par la clameur publique, et celui où l'inculpé est trouvé saisi d'effets, armes, instruments ou papiers faisant présumer qu'il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit. »


La notion de flagrant délit a pu être précisée par la jurisprudence.

Ainsi, dans un arrêt du 7 février 2018 (R.G. P.18.0100.F, publié sur JUPORTAL), la 2ème Chambre de la Cour de Cassation enseigne que :

« Conformément aux articles 32, 36 et 41 du Code d'instruction criminelle et à l'article 1er, alinéa 2, 2°, de la loi du 7 juin 1969, le procureur du Roi et l'officier de police judiciaire peuvent procéder à une visite domiciliaire en cas de flagrant crime ou délit; cette visite domiciliaire peut être effectuée à n'importe quelle heure, sans le consentement de la personne intéressée et sans mandat de perquisition; la constatation de l'état de flagrance doit précéder la perquisition et cette dernière ne peut être justifiée par le constat a posteriori du flagrant délit (1). (1) « La procédure spéciale en cas de flagrant délit (...) implique nécessairement la constatation préalable d'un délit » (Cass. 13 septembre 2011, RG P.10.2039.N, Pas. 2011, n° 461). »


Dans ce même arrêt, la Cour de Cassation rappelle également que :

« Il n'y a pas de flagrant délit si l'on se fonde seulement sur des présomptions et des indices qu'une infraction pourrait avoir été commise (1). (1) « Pour qu'un délit qui vient de se commettre soit flagrant, il faut que le délit soit encore actuel et que le temps qui s'écoule entre la commission de l'infraction et les actes d'instruction ne soit que le temps matériellement nécessaire pour permettre l'accomplissement desdits actes; il faut, en outre, que des éléments objectivant l'existence du délit aient été recueillis » (Cass. 29 juin 2005, RG P.05.0864.F, Pas. 2005, n° 383, avec concl. « dit en substance » de M. LOOP, avocat général); « (...) préalablement à l'application des règles particulières s'appliquant en cas de flagrant délit, il faut qu'il existe des éléments précis objectivant le fait qu'une infraction est commise ou vient d'être commise; il n'est pas requis que l'infraction soit observée par un témoin ou constatée immédiatement par un agent de la police judiciaire ni que son évidence et sa constatation sous tous ses aspects soient telles que toute instruction ultérieure devient inutile » (Cass. 3 décembre 2013, RG P.13.1858.N, Pas. 2013, n° 655), mais « une simple présomption ou indication n'est pas suffisante à cet égard » (voir Cass. 3 mai 1988, RG 1655, Pas. 1988, n° 539; Cass. 13 septembre 2011, RG P.10.2039.N, Pas. 2011, n° 461). Voir M.-A. BEERNAERT, H.-D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, La Charte, Bruges, 8ème éd., 2017, t. I, pp. 391-392. »


Ainsi, donc pour qu’il y ait flagrant délit permettant aux policiers de procéder à une visite domiciliaire, il faut que, préalablement à la visite, les policiers aient pu constater des éléments précis objectivant qu’une infraction est commise ou vient d’être commise en précisant qu’une présomption ou une indication n’est pas suffisante.

En pratique, cela signifie qu’une dénonciation n’est pas suffisante pour considérer qu’il y a un flagrant délit justifiant une visite domiciliaire.

Dans l’hypothèse d’une dénonciation, les policiers devront rechercher et constater d’autres éléments, indices de la commission de l’infraction avant de pouvoir procéder à une visite domiciliaire.

Par exemple, dans le cas d’un contrôle du respect des mesures COVID, la présence de nombreux véhicules stationnés autours de l’habitation, des éclats de rire et le bruit d’une fête, un contrôle visuel par une fenêtre non-occultée laissant apparaître un nombre trop élevé de visiteurs, etc….


A cet égard, dans la circulaire du 15 décembre 2020, le Collège des Procureurs Généraux précise que :

« Dans le cadre de la recherche et de la constatation des infractions à l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020, les dispositions du Code d’instruction criminelle et de la loi du 7 juin 1969 permettant de pénétrer dans un lieu privé en cas de flagrant délit, ne peuvent être appliquées sans accord explicite et préalable du procureur du Roi. En effet, le recours, en l’espèce, à cette prérogative ne rencontrera normalement pas les exigences de proportionnalité auxquelles une ingérence dans la vie privée doit répondre, raison pour laquelle une appréciation par le magistrat du parquet s’impose. Ce dernier appréciera, entre autres, si des indices sérieux existent qu’une infraction à l’arrêté ministériel du 28 octobre2020 est en train de se commettre. »

Et que :

« Des constatations des infractions à l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 qui ne sont pas conformes à ce qui précède, ne peuvent pas donner lieu à une proposition de transaction pénale (immédiate) ou à des poursuites. Les procès-verbaux éventuellement établis, seront classés sans suite. »

Ceci étant précisé, il va de soi que le meilleur moyen d’éviter des poursuites, reste le respect des règles édictées pour notre sécurité à tous.

En effet, comme le rappelle Monsieur Johan DELMULLE, Président du Collège des Procureurs Généraux, :

« Respecter l’interdiction de rassemblement et le couvre-feu est essentiel pour maintenir – tous ensemble – l’épidémie sous contrôle. Notre mission et notre devoir sociétaux consistent à continuer à y veiller scrupuleusement, dans l’intérêt de chacun et par respect pour ceux qui suivent les règles ».

 

B. LES DRONES :

L’utilisation de drones pour effectuer des contrôles du respect des mesures COVID en « espionnant » les habitations a été évoquée dans la presse relayant les propos de certains politiques.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que le recours à un tel procédé relève de ce que le Code d’Instruction Criminel qualifie de « techniques spéciales de recherche » qui ne sont pas la norme de sorte que leur utilisation est réglementée et soumise au Contrôle de la Chambre des Mises en accusation.

Concernant le recours à des drones, le Collège des Procureurs Généraux précise, dans la circulaire du 15 décembre 2020, que :

« Le Collège des procureurs généraux estime que l’utilisation de drones à des fins judiciaires, dans le cadre de l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020, à savoir pour constater des infractions contre les mesures prises pour limiter la propagation du coronavirus, n’est pas proportionnelle à l’égard de la gravité des infractions à rechercher (les infractions à l’arrêté ministériel du 28/10/2020 sont punies d’un emprisonnement de 8 jours à 3 mois et d’une amende de 26 à 500 euros, ou d’une de ces peines seulement) et de la violation des libertés et droits individuels.

Par conséquent, les services de police ne peuvent pas utiliser de drones pour la recherche et la constatation d’infractions contre les mesures prises pour limiter la propagation du coronavirus.

Des constatations basées sur l’utilisation d'un drone et qui dérogent à ce principe ne peuvent pas donner lieu à une amende ou à des poursuites devant le tribunal. Les procès-verbaux éventuellement dressés seront classés sans suite.

Pour le Collège des procureurs généraux, l’utilisation de drones afin d’avoir une vue dans un lieu privé (« un lieu non accessible au public »), quelle qu’en soit la finalité (administrative ou judiciaire), n’est pas autorisée.

Bien entendu, l’utilisation de drones reste possible à des fins administratives, par exemple pour avoir une vue sur le nombre de personnes sur une digue de notre littoral ou dans des rues commerçantes afin de prendre d’éventuelles mesures de sécurité. »


Par conséquent, contrairement à ce qui a pu être annoncé dans la presse, l’utilisation de drones est prohibée.


Si vous aviez des interrogations par rapport au contenu de la présente note, l’équipe du Cabinet 109 est à votre disposition.



David JOSSAAR
Avocat