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Il est indéniable que la pandémie de COVID-19 et les mesures qui ont été prises pour la contrer, impactent la vie économique et privée des Belges et plus particulièrement des entreprises au sens large.
La présente a pour vocation de tenter de clarifier la situation de l’exécution des obligations contractuelles en cette période.
Après un rappel général, nous nous intéresserons à la problématique du bail commercial.
Cependant, chaque situation nécessitant une analyse spécifique, il est fortement recommandé de consulter son conseil habituel ou un avocat avant de prendre une initiative.
1) Cause étrangère libératoire ou non ? :
Avant toute chose, un bref rappel de ce qu’est une cause étrangère libératoire, terme générique recouvrant les cas fortuits, la force majeure, le fait du Prince, etc….
Henri DE PAGE considère que la cause étrangère, pour être libératoire, doit présenter deux caractères :
- D’une part, elle doit créer une impossibilité absolue d’exécution – autrement dit, l’obstacle à l’exécution doit être insurmontable.
- D’autre part, la cause étrangère doit être exclusive, exempte de toute idée de faute du débiteur, c’est-à-dire inévitable et imprévisible.
Dans le cas présent, il est indéniable que l’Arrêté Ministériel du 18 mars 2020 ordonnant les fermetures d’entreprises constitue une cause étrangère libératoire, et plus particulièrement un « fait du Prince », puisqu’il est inévitable, imprévisible et insurmontable.
Cependant, si votre entreprise ne fait pas partie de celles directement visées par l’obligation de fermeture, une analyse de votre situation individuelle sera nécessaire.
2) Effets sur l’exécution des obligations contractuelles en générale :
La question de l’effet d’une cause étrangère libératoire sur l’exécution des obligations contractuelles est complexe et la réponse va varier en fonction :
- Du caractère de l’empêchement, soit total et définitif, soit temporaire.
- Du type de convention liant les parties, soit un contrat unilatéral (une partie s’oblige vis-à-vis de l’autre), soit un contrat synallagmatique (il y a des obligations réciproques).
- Du type d’obligation concernée, obligation de faire ou de somme.
A) Force majeure totale et définitive :
Lorsque survient un cas de force majeure empêchant définitivement le débiteur de remplir son obligation, il est libéré et exonéré de toute responsabilité à l’égard de son créancier.
Par exemple : livraison d’une œuvre d’art unique qui serait détruite par un cas de force majeure.
1er effet : exonération de responsabilité :
Lorsqu’un cas de force majeure/une cause étrangère libératoire empêche le débiteur de remplir son obligation, ce dernier est exonéré de toute responsabilité à l’égard de son créancier comme le rappellent les articles 1147 et 1148 du Code Civil.
Si ces articles du Code Civil ne font référence qu’aux dommages et intérêts, il est admis, par la jurisprudence, que le débiteur ne peut pas se voir soumis à une autre sanction de la part du créancier, comme l’exécution en nature ou la résolution du contrat.
2ème effet : extinction des obligations et du rapport contractuel :
Pour rappel, citant en cela Henri DE PAGE, « Les contrats peuvent se dissoudre par voie de conséquence, lorsque la ou les obligations qui forment la convention disparaissent, comme telles, par suite d’un mode d’extinction propre aux obligations… » mais il existe également des modes de dissolution propres au contrat de sorte que dans cette seconde hypothèse, ce sont les obligations qui tombent par voie de conséquence suite à la dissolution du contrat.
Dans l’application d’un cas de force majeure/d’une cause étrangère libératoire, cette distinction va se retrouver dans l’extinction ou non du contrat.
1ère hypothèse : les contrats unilatéraux.
Une convention unilatérale est un contrat par lequel une partie (A) s’oblige vis-à-vis d’une autre (B) sans que la partie (B) n’ait à s’obliger, en contrepartie, vis-à-vis de (A).
Par exemple : l’offre de contracter, la cession de créance, la reconnaissance de dette….
Dans cette hypothèse, lorsqu’un cas de force majeure survient et empêche le débiteur d’exécuter une obligation issue d’un contrat unilatéral, l’obligation est éteinte par un mode d’extinction propre aux obligations et comme il n’y a qu’une obligation que dans le chef d’une seule partie, le contrat tombe, par voie de conséquence, sans qu’aucune formalité doive être respectée.
2ème Hypothèse : les contrats synallagmatiques
Une convention synallagmatique est un contrat où les parties ont des obligations réciproques.
Par exemple : une vente, un bail, un contrat d’entreprise, un contrat de service, …..
Dans cette hypothèse, l’obligation éteinte par force majeure/cause étrangère libératoire laisse, en principe, subsister l’obligation corrélative du cocontractant.
Qu’en est-il de cette dernière obligation ? Le débiteur empêché par cas fortuit/cause étrangère libératoire peut-il exiger l’exécution de l’obligation « survivante » ?
Par un arrêt du 27 juin 1946, la Cour de Cassation a répondu à cette question, en usant de la « théorie des risques », comme suit :
« Attendu, en effet, que, dans les contrats synallagmatiques, l’extinction par la force majeure des obligations d’une partie entraîne l’extinction de ces obligations corrélatives de l’autre partie et justifie, dès lors, la dissolution du contrat ;
Que, si cette règle de droit n’est pas formulée en termes exprès par une disposition du Code Civil, elle est néanmoins consacrée par celui-ci, puisqu’il en fait application dans diverses dispositions particulières, notamment dans les articles 1790 et 1867, et, spécialement en cas de destruction ou de perte de choses immobilières louées, dans les articles 1722 et 1741 ; (…) qu’en toute hypothèse, le bail ayant été résilié, non pour inexécution fautive, mais par application de la théorie des risques (…) »
Ainsi, il est désormais généralement admis que la dissolution du contrat synallagmatique se justifie par la théorie des risques, cause d’extinction propre au rapport contractuel que l’on peut synthétiser comme suit :
Les obligations réciproques se conditionnent l’une l’autre de sorte que si l’une disparaît définitivement, l’autre n’a plus de soutien, plus de raison d’être, plus de justification et doit donc disparaître également.
On notera également que l’extinction des obligations se produira sans effet rétroactif mais à partir du moment où survient l’obstacle qui rend l’exécution de l’une des obligations impossibles.
B) Force majeure temporaire :
Il s’agît du cas où l’obstacle rendant l’exécution de l’une des obligations est total mais simplement temporaire.
Par exemple : l’obligation de fermeture des établissements HORECA suite à la pandémie qui n’est pas définitive et dont on sait qu’elle prendra fin un jour.
Dans cette hypothèse, le contrat (unilatéral ou synallagmatique) sera suspendu , mis en hibernation, et ce, sans l’intervention du juge.
Par « suspension », il faut entendre que le contrat sera « mis entre parenthèse » durant une période de temps passagère sans que son existence soit affectée.
Ainsi, les obligations du contrat incombant au débiteur rendues temporairement impossibles par l’évènement de force majeure se verront suspendues mais continuent à exister. L’obligation est, en fait, privée de son exigibilité durant la durée de la cause étrangère libératoire sans que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée (exonération de responsabilité) et sans que le créancier ne puisse demander la résolution du contrat aux torts de son cocontractant.
S’il existe d’autres obligations non touchées par la force majeure, celles-ci demeurent maintenues.
A l’inverse, le créancier de obligations rendues temporairement impossibles par cas fortuit se voit également libéré et exonéré, comme son cocontractant.
En effet, la théorie des risques s’applique également en cas de force majeure temporaire.
D’ailleurs, estimant qu’il s’agît d’une réduction de la théorie des risques, le Doyen CARBONNIER synthétise la règle comme suit :
« Tant que l’un des contractants ne peut exécuter ses obligations, l’autre est dispensé d’exécuter les siennes. »
C) Obligation de somme, pas de force majeure :
En ce qui concerne les obligations de sommes càd l’obligation de payer ou rembourser un montant en argent, il y a lieu de noter que de jurisprudence constante, la Cour de Cassation exclut la possibilité d’invoquer un cas de force majeure/une cause étrangère libératoire pour ne pas exécuter une obligation de somme en se fondant sur l’adage « genera non pereunt » (les choses de genre (interchangeables) ne périssent pas).
Ainsi, dans un arrêt du 28 juin 2018, la Cour de Cassation a considéré que :
« Un débiteur est libéré de son obligation si l’exécution de celle-ci est devenue définitivement impossible pour cause de force majeure. L’insolvabilité, même si elle résulte de circonstances externes qui sont constitutives de force majeure pour le débiteur, n’a pas pour effet de libérer celui-ci de son obligation de somme. »
Cet arrêt fait écho à une décision du 13 mars 1947 où cette même Cour de Cassation a estimé que l’impossibilité d’exécution ne se conçoit pas lorsque l’obligation a pour objet le paiement d’une somme d’argent. En l’espèce, un locataire qui, durant la Seconde guerre mondiale, avait été contraint de verser les loyers à l’occupant allemand (et non au propriétaire-bailleur israélite qui s’était réfugié à l’étranger), invoquait la force majeure afin d’être libéré des sommes que réclamait le bailleur (demandeur en cassation), lequel n’avait jamais reçu les loyers payés à l’ennemi.
En outre, la jurisprudence de la Cour de Cassation est régulièrement rappelée par les Juges du fond.
Ainsi, la Cour d’Appel de Bruxelles a, dans un arrêt de 2006, décidé en se fondant sur les écrits d’Henri DE PAGE, qu’ « en toute hypothèse, l’insolvabilité, quelle qu’en soit la cause, ne donne lieu qu’à l’application de l’article 1244 du Code Civil. Elle ne peut être considérée comme un cas de force majeure, sous peine de porter un coup mortel aux relations d’affaires. C’est en ce sens qu’il faut maintenir, en ce qui concerne les sommes d’argent, la règle Genera non pereunt. »
Par conséquent, peu importe le type de contrat, aucun cas de force majeure/aucune cause étrangère libératoire ne pourra être invoqué pour s’exonérer/suspendre une obligation de somme.
3) Quid du Bail commercial ? :
La problématique des locations au sens large, et plus particulièrement de locaux professionnels ou commerciaux, est d’une actualité brulante eu égard aux obligations de fermeture temporaire imposées aux entreprises.
Cependant, il faut se garder de réaliser des raccourcis hâtifs concernant une éventuelle décision de suspendre ou non l’exécution d’une ou des obligations qui incomberaient à l’une des parties.
Comme rappelé ci-dessus, un cas de force majeure ne peut exonérer un débiteur d’une obligation de somme.
Dès lors, un locataire touché par l’obligation de fermeture temporaire est-il tenu de payer son loyer malgré tout ?
Rien n’est moins sûr.
En effet, il y a lieu d’affiner l’analyse en revoyant les obligations principales des parties à un bail.
Pour le Bailleur, il s’agît de :
1) Délivrer au preneur la chose louée en bon état de réparations de toutes espèces.
2) Entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée.
3) En faire jouir paisiblement le preneur, pendant la durée du bail.
Pour le locataire, il s’agît de :
1) User de la chose louée en bon père de famille, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention.
2) Payer le prix du bail aux termes convenus.
Après examen des obligations respectives des parties au contrat de bail, il apparaît que l’obligation de fermeture n’est pas une atteinte à une des obligations du locataire mais bien à celle du bailleur qui a l’obligation de fournir une « jouissance paisible » à son locataire.
Le bailleur ne pouvant plus fournir la jouissance paisible des lieux suite à un cas de force majeure est exonéré de sa responsabilité vis-à-vis du locataire et son obligation est suspendue durant la durée de l’obligation de fermeture.
En contrepartie, le bail étant un contrat synallagmatique, le locataire voit, en vertu de la théorie des risques, son obligation de payer le loyer, suspendue également durant la durée du cas fortuit.
Par conséquent, un locataire touché par l’obligation de fermeture temporaire peut suspendre/ne pas payer le loyer depuis le 18 mars 2020 jusqu’à la fin de l’obligation de fermeture.
Par contre, les autres obligations du contrat demeurent d’application pour chacune des parties.
Il va de soi qu’avant toute suspension de paiement, il y a lieu de vérifier ou de faire vérifier par son conseil que l’on est bien dans le cas de figure pré-décrit (vérification de l’existence de l’obligation de fermeture, d’un cas de force majeure dans le chef du prorpiétaire).
En outre, il est recommandé de contacter et de trouver un accord avec le propriétaire plutôt que vouloir « passer en force » dans la mesure où après la période de fermeture obligatoire, les relations contractuelles qui sont en léthargie, reprendront pour plusieurs mois voire années de sorte qu’il est préférable de tenter d’éviter un conflit latent avec le propriétaire.
Le cabinet 109 reste bien sûr à votre disposition pour vous conseiller et vous aider dans la gestion de vos divers contrats (baux ou autres) suite à la crise du COVID 19.
David JOSSAAR
Bibliographies, références et jurisprudences :
- MICHAUX, S., PHILIPPE, D., La force majeure, 01/01/2002 - Contributions dans un livre - In: X., Obligations. Traité théorique et pratique, II.1.3-133 - II.1.3-173 (41 p.) - janvier 2002, Force majeure (extinction de la convention), généralités.
- DE PAGE, H., Traité élémentaire de Droit Civil, 1964.
- Cass., 1ère Ch., 27 juin 1946, Pas., I, 1946, pp. 270 à 275.
- Cass., 1ère Ch., 28 juin 2018, R.G.D.C., 2020/1, p. 26.
- VAN ZUYLEN, J., note sous Cass., 28 juin 2018, R.G.D.C., 2020/1, pp. 26 à 36.
- Cass., 13 mars 1947, Pas., I, 1947, p. 108 concl. De M. le Premier Avocat Général R. HAYOIT DE TERMICOURT.
- Bruxelles, 26 janvier 2006, R.D.C., 2008, p. 20.
- VAN ZUYLEN, J., « La force majeure en matière contractuelle : un concept unifié ? Réflexions à partir des droits belge, français et hollandais. », R.G.D.C., 2013/8, pp. 406 à 421.